Gamescom 2018 – Interview avec Scott Hartsman (CEO Trion Worlds)
Le dernier jour de la gamescom, juste avant de suivre la présentation de tous les jeux Trion, nous avons eu l'opportunité de discuter avec le CEO de Trion Worlds, Scott Hartsman.
L'entretien a débuté autour de la récente annonce effectuée par Trion Worlds qui se propose d'aider les studios indépendants à éditer leurs jeux en ligne. De nombreux éléments sont à mettre en place pour lancer un jeu en ligne et cela coûte extraordinairement cher. Certes, il existe d'excellents fournisseurs externes de serveurs, comme Amazon et Google, ou encore des services de facturation, mais peu d'interlocuteurs uniques qui soient en mesure de fournir tout ce dont un studio a besoin : des serveurs, un système de facturation, un service client, la gestion de communauté, une protection contre les attaques DDOS... Et justement, Trion Worlds peut offrir l'intégralité de ces services déjà mis en place pour ses jeux en ligne (édités ou développés en interne) à tous ces développeurs qui débutent, et cela pour un prix très compétitif. En parallèle, Trion Worlds continue bien entendu à être éditeur pour les développeurs qui le désirent, car certains préfèrent cette sécurité.
Cette idée est apparue après avoir parlé avec de nombreux développeurs qui désiraient au contraire rester l'éditeur officiel de leur jeu, mais qui ne voulaient cependant pas gérer tous les services qui ne sont pas reliés au jeu en lui-même, ou qui ne pouvaient pas se permettre financièrement d'investir pour les mettre en place. Jusqu'à présent, la seule alternative consistait à travailler avec un éditeur ou à rejoindre un rassemblement d'indépendants. Trion Worlds désire offrir une nouvelle solution en tant que fournisseur de service, l'établissement d'un partenariat dans son "écosystème". Sept développeurs sont actuellement en train de discuter des modalités et, même si rien n'est encore signé, Scott Hartsman a vraiment hâte que cela devienne une nouvelle corde ajoutée à l'arc des services proposés par Trion Worlds.
Par exemple, imaginons que j'ai un jeu en ligne et que je voudrais profiter de ces services, à quel moment dois-je me mettre en relation avec Trion Worlds ? Scott Hartsman conseille de le faire juste avant l'alpha, car alors le jeu est suffisamment jouable pour permettre de vérifier qu'il a une réalité et qu'il se rapproche d'un lancement en accès anticipé. Il est ainsi possible de mettre tout en place pour ce lancement, et notamment de le mettre sur son lanceur (Glyph) à la disposition des millions d'utilisateurs qui l'utilisent chaque mois, offrant ainsi une meilleure visibilité au jeu, et cela très tôt, le tout à un prix très bas (et ainsi augmenter les chances de réussite).
Développeurs étrangers, n'hésitez pas à tenter si cela vous intéresse, Trion Worlds est ouvert à tous les pays. Scott Hartsman a récemment discuté en vidéo-conférence avec plusieurs développeurs francophones et, plus récemment lors de ChinaJoy, avec des développeurs chinois, événement qui lui a permis de constater l'amélioration globale de la qualité des jeux chinois avec de nombreuses réalisations très ambitieuses réalisées sous Unreal 4.
En parallèle, Trion Worlds a eu une année très prolifique pour ses propres jeux : le (re) lancement de Defiance 2050 et l'extension majeure de Trove (Géode). Un partenariat avec 360 Games a permis de lancer Trove en Chine, et la version PlayStation 4 est arrivée au Japon grâce à DMM Games. Ce dernier lancement a d'ailleurs été un succès inattendu. Le côté coopératif de Trove plait aux joueurs japonais qui apprécient le fait que dans ce MMO l'on collabore plus que l'on ne s'oppose.
Pour le futur, nous n'en avons que peu parlé, j'allais de toute façon pouvoir suivre, juste après, les présentations dédiées avec les développeurs de Trion, ArcheAge, Trove et Defiance 2050. De nouveaux jeux sont-ils prévus ? Sans me donner de réponse, Scott Hartsman m'explique que lorsqu'en interne l'équipe pense à un nouveau jeu, il est classé dans l'une des trois catégories suivantes :
- en interne, ils ont une structure d'incubateur appelé "Trion Labs" où de petites équipes de un à cinq développeurs créent des prototypes de nouveaux jeux qui sont ensuite testés en interne. Puis les employés jouent et décident quelle idée est assez amusante pour devenir un véritable projet. Ils ont plusieurs jeux qui sont actuellement testés en interne, il est bien sûr encore beaucoup trop tôt pour en parler en public car malheureusement, tous ne pourront pas devenir des jeux complets. C'est pour cette raison que les équipes sont réduites : si cela ne fonctionne pas, elle peut alors passer sur quelque chose de différent.
- il y a ensuite les "gros" jeux, très ambitieux, souvent basés sur une licence externe. Trion Worlds est actuellement en discussion avec quatre partenaires en charge de licences importantes qui désireraient que la société crée pour eux des jeux en ligne. Il convient d'évaluer avec quel partenaire il serait possible de travailler, dans la mesure d'ailleurs où Trion Worlds veut en choisir un. Mais certains sont vraiment très cools, des licences que Scott Hartsman aime beaucoup à titre personnel et pour lesquelles il aimerait faire des jeux. Mais il ne peut pas laisser ses sentiments personnels influer trop sur la décision finale.
- il y a enfin les jeux qu'ils publient. Ils sont continuellement en discussion avec des développeurs qui désirent que Trion Worlds s'occupe de toute la partie publication de leur jeu.
Très optimiste, Scott Hartsman espère que lorsque nous aurons cette même discussion de nouveau dans deux ans, il aura cinq nouveaux jeux dont il pourra parler. C'est en tout cas son objectif idéal et il espère vraiment que cela se concrétisera.
Avec autant de projets en cours, je me demandais dans quel sens les discussions étaient initiées. En résumé, cela dépend, il n'y a pas de standard. Pour Scott Hartsman, il est vraiment important que des employés fassent le déplacement depuis les studios en Californie jusqu'aux événements qui se déroulent à travers le monde (comme ChinaJoy ou la gamescom). Les développeurs sont ainsi en mesure de venir à eux et, à l'inverse, les équipes de Trion peuvent partir à la rencontre des développeurs. Scott Hartsman est un grand supporter de tous les jeux PC créés en Europe durant ces dernières années, c'est un énorme pas en avant pour les jeux (il cite notamment CD Projekt Red). À son avis, la plupart des éditeurs américains comprennent maintenant, ou en tout cas vont réaliser très prochainement, que des jeux de qualité AAA peuvent être créés dans n'importe quel pays du monde. Il faut juste être présent.
Ainsi, si vous êtes un développeur présentant votre jeu en ligne, il se peut que Scott Hartsman passe devant votre stand ! Juste la veille, entre deux rendez-vous, il avait fait un tour du côté des stands chinois et coréens ! Il aime ces événements, il a participé à sa première convention à l'âge de 15 ans, la Gen Con, et il a continué à y venir en tant que joueur par la suite. Aujourd'hui, en tant que CEO de Trion Worlds, il aime toujours autant parcourir les allées de ces halls, et découvrir ces stands avec plus de 40 jeux, et leurs 40 développeurs dont 35 lui sont inconnus. Et il fera la même chose au stand des indépendants à la PAX, qui se déroulera la semaine prochaine à Seattle (du 31 août au 3 septembre), prêt à découvrir de nouvelles perles créées par des développeurs passionnés. Pour lui, ce sont ces salons qui rendent cette partie affaire si amusante.
La façon dont Trion Worlds voit Glyph, son lanceur de jeu, a évolué avec le temps. Par rapport aux services fournis par la société, il est important de réfléchir à ce qui apporte le plus d'avantages pour les développeurs avec lesquels elle travaille. Glyph n'est qu'un des nombreux canaux avec lesquels les jeux de Trion Worlds interagissent. Leur plateforme centrale, du côté des serveurs, interagit avec Steam, avec Amazon, avec Twitch et avec Discord. Glyph n'est au final qu'un canal supplémentaire parmi ces mécanismes de distribution. L'idée centrale derrière cela est simple : si vous avez un jeu que vous voulez proposer aux joueurs, il est important qu'il soit disponible sur le plus de services possibles. Glyph est un canal très important, pour l'un de leurs jeux cela représente par exemple 90% des utilisateurs (je présume que cela doit être RIFT mais je n'ai pas eu de confirmation).
RIFT a eu un cycle de vie assez étrange : sorti en 2011 avec un abonnement, la transition avec un modèle free-to-play a été effectuée en 2013, et récemment de nouveaux serveurs à abonnement uniquement, RIFT Prime, ont été relancés, comme un retour aux sources. Pour Scott Hartsman, les joueurs de RIFT ont tendance à être "old-school", c'est à dire que ce sont souvent des joueurs qui ont débuté les MMORPG il y a 10 ou 15 ans. Le free-to-play fonctionne toujours très bien, mais il y avait cette part d' utilisateurs qui préféraient toujours l'ancien système. La volonté de proposer un serveur "nouveau départ" s'imposait de plus en plus, car c'est toujours un moment très spécial pour un MMORPG, quand tous les joueurs redémarrent au même point dans un tout nouveau monde (c'est pour Scott Hartsman l'un des moments les plus amusants). Au final, les deux se sont rejoints : quitte à reprendre de zéro du côté du jeu, alors autant le faire avec le modèle économique également ! Scott Hartsman est très content de ce choix, il a lui-même beaucoup joué sur ces nouveaux serveurs.
C'est par contre quelque chose qui ne pourrait pas être possible pour d'autres jeux, comme ArcheAge où ils ne sont "que" éditeur pour une région donnée. Dans ce cas, ils sont plus un canal qu'autre chose, et ils ne sont pas en mesure d'imposer de telles décisions. La seule chose que Scott Hartsman peut dire, c'est que Trion Worlds a fait entendre son avis sur la question au développeur, XLGames, et qu'il espère qu'il sera possible de faire de nouvelles choses sur ce MMORPG dans le futur. Ce sont des développeurs très talentueux et il pense qu'ils y viendront certainement par eux-mêmes à un moment ou à un autre.
C'est triste, certes, mais il faut mettre les choses en perspective car savez-vous quel est le jeu créé par Bluehole juste après ? Un petit jeu nommé... PlayerUnknown's Battlegrounds. Il a été très amusant de travailler avec eux, c'est une équipe très talentueuse, mais malgré tout ce talent, tout jeu ne peut pas être forcément un succès. Du point de vue économique, pour Trion Worlds en tant qu'éditeur Europe/Amérique, cela s'est plutôt bien passé, le jeu a généré un peu de profit et Scott Hartsman est heureux d'avoir eu l'opportunité d'éditer ce titre et il est clairement attristé que cela n'ait pas duré plus longtemps, surtout à titre personnel car il a beaucoup joué sa Cannoneer. Mais ça n'a pas marché et ils ont au final fait PUBG donc... ils s'en sortent bien. Très pragmatique, Scott Hartsman lâche cependant qu'il aurait quand même préféré publier leur second jeu. Il a d'ailleurs récemment recroisé leur producteur exécutif, Chang-han Kim, à l'E3 et il a enfin pu le féliciter en personne de leur succès. Ils l'ont mérité, ils ont énormément travaillé avec une équipe plutôt réduite sur un jeu dont le succès n'était pas garanti.
Et au final, Trion Worlds a également son Battle Royale ! Même si Boumbombe Royale, sorti avec Géode, n'a été créé que pour le fun.
En guise de conclusion, Scott Hartsman n'a pas grand chose à ajouter aux questions que j'ai déjà posées. Il revient sur ce que nous disions en introduction, Trion Worlds veut vraiment faire tout son possible pour aider au maximum les développeurs. La compétition augmente, il y a toujours plus de jeux lancés, et il pense que les développeurs s'en sortent mieux en travaillant ensemble et en établissant des partenariats entre eux. Pouvoir ainsi être le partenaire de plus de projets de développement est quelque chose de vraiment excitant et il espère qu'il y aura davantage de succès à la clé.
Enfin, notre interview s'est conclue par quelques discussions sur nos jeux du moment et sur les découvertes réalisées à la gamescom, un entretien très ouvert avec un patron qui n'en a pas l'air, et qui donne plus l'impression d'être un ami autant passionné que nous par les jeux vidéo.