Le métier de développeur – Interview Nicolas Cannasse
Suite à un article de Nicolas Cannasse sur le métier de développeur de jeux (que je vous recommande de lire), je l’ai contacté pour obtenir sa vision du métier et son avis sur le monde du jeu indé. Pour en connaître un peu plus sur lui, vous trouverez une présentation à la fin de l’article cité. Pour résumer, il a fondé deux studios indépendants parmi les plus connus en France (Motion-Twin et ShiroGames) et a créé le langage HaXe (Evoland, rymdkapsel, Papers, Please …)
Au sein de Shiro, UntilDark a été annulé et il se concentre désormais sur Evoland 2.
Quelles étaient vos motivations derrière la création de Motion-Twin et de Shiro Games et sur quels points sentez-vous les bienfaits de l’indépendance ?
Au début, Motion-Twin c'était juste la volonté de créer des jeux avec des amis et d'en vivre, en s'adaptant aux nouvelles technologies web qui émergeaient à l'époque (Flash). Est venu ensuite le fait de vouloir créer une société différente, basée sur la coopération et la démocratie (SCOP).
Pour Shiro, c'était plutôt le sentiment d'avoir fait le tour à Motion-Twin et l'envie de tenter de nouvelles choses. Le jeu indépendant le permet aujourd'hui ; ce n'était pas le cas quand Motion-Twin s'est créé.
L'indépendance c'est avant tout la liberté de prendre ses propres décisions, le fait d'avoir une petite équipe soudée.
Et les méfaits ?
Etre indépendant est aussi une grande responsabilité, car les mauvaises décisions sont aussi à assumer soi-même. Cela peut mettre une certaine pression de temps en temps. Il faut avoir une vision claire de ce que l'on veut faire et essayer de la conserver jusqu'au bout.
En lisant votre article, on a l’impression qu’il faut travailler 5 ans chez Ubisoft avant de faire ce qu’on veut, vous n’avez pas peur de rebuter ceux qui sont tentés par la filière indé ?
Je n'ai envie de rebuter personne, au contraire d'encourager ceux qui veulent aller dans cette direction. Je ne pense pas, par exemple, que passer 5 ans chez Ubisoft soit plus efficace que de passer disons 2 ans à créer des prototypes et à faire des game jams.
Ensuite, ce que je décris n'est absolument pas nécessaire, mais il faut être réaliste et si on veut maximiser ses chances, c'est une des meilleures façons à mon avis.
Le marché du jeu indé est envahi de Pixel Art, de musique 8bits et plus récemment de platformers. Est-ce que vous pensez qu’après la rapide croissance du marché il est nécessaire de casser les codes avant saturation (à l’image d’Evoland) ?
Bien entendu. On est déjà à saturation et quelque part on l'a toujours été, ce n'est rien de nouveau. Raison de plus pour prendre le temps de bien se former avant de s'attaquer à un jeu indé si on veut pouvoir en vivre. Le temps passé à créer un jeu complet et à le commercialiser permet trop rarement de pouvoir continuer après un échec.
C'est vrai que l'on entend assez souvent parler des "success stories", du gars qui fait tout seul son premier jeu et qui a un succès immense. Mais pour un comme lui, des centaines voire des milliers se sont plantés.
Le but n'est pas de décourager, juste d'être réaliste.
Et oui, aujourd'hui un jeu qui n'innove en rien (graphisme, gameplay, réalisation, thème) a vraiment peu de chances de sortir du lot.
On a vu dans IndieGame : TheMovie, le périple (cauchemar ?) que représente la création de jeu en indé. Comme avec les autres produits culturels, une carrière représente souvent des années de galères financières avant d'espérer une amélioration. Est-ce un mal nécessaire ou faudrait-il plus de soutien pour ce média ?
J'ai personnellement trouvé le film enthousiasmant, cela montrait qu'avec de la volonté on pouvait y arriver.
Je ne pense pas que ce soit systématiquement des années de galères financières, heureusement. Mais oui quand on fait un premier jeu avec un nouveau studio, forcément on n'a pas de revenus.
Certains font des activités annexes pour financer leur studio, mais cela va souvent leur prendre beaucoup plus de temps que prévu et ils vont finir par faire de la prestation sans avoir jamais développé le jeu prévu au départ.
Il y a certains soutiens qui existent, mais qui sont peu adaptés. Par exemple les aides à la production du CNC permettent de financer des salariés, mais souvent un studio commence avec ses seuls fondateurs qui n'ont aucun intérêt à mettre de l'argent dans la société pour se verser des salaires ensuite en payant 40% de charges au passage.
Le principal soutien qui existe, c'est celui de Pôle Emploi, quand des anciens d'un studio qui ferme utilisent cet argent pour créer quelque chose de nouveau.
En dehors de ça, il faut se débrouiller car il y a peu de "business angels" qui sont prêts à payer une équipe qui n'a pas encore fait ses preuves.
Avec la récente affaire du GamerGate, les Game Developer’s sont souvent montrés du doigt comme étant les responsables d’une propagande sexiste. Quelle est selon vous, la part de responsabilité du développeur dans le contenu et le message d’un jeu ? Dans le cas de jeux perçus comme sexistes, pensez-vous qu’il s’agisse de conformisme, de paresse scénaristique ou d’une véritable volonté de nuire ?
Je ne pense pas qu'il y ait de "volonté de nuire", mais il y a une certaine culture, qui n'est pas spécifique aux jeux vidéos. On pourrait l’appeler "culture Hollywoodienne".
Souvent ça se résume par un gars avec son flingue et sa testotérone qui va sauver une pauvre fille en général plutôt mignonne en défonçant ses ennemis qui sont forcément des méchants. C'est une vision à la fois très manichéenne (bien absolu vs mal absolu) et sexiste de la société (tu m'as sauvée donc je suis tombée amoureuse de toi), qui est reprise dans les films, les séries, les jeux - certains films, certaines séries et certains jeux pour être correct.
A titre personnel, je trouvais ça amusant adolescent mais maintenant je cherche quelque chose de plus intéressant dans ce que je regarde/lit/joue.
Quelle part de responsabilité des auteurs ? Elle est sûrement importante, mais il y a aussi un public qui apprécie ce genre de chose donc c'est un peu l'oeuf et la poule. On ne peut pas complétement reprocher aux studios de créer ce que veut un public de masse.
Mais je suis assez optimiste sur l'évolution à moyen terme. On n'imaginerait pas aujourd'hui un jeu à thème purement raciste avoir du succès, et j'imagine que les clichés sexistes d'aujourd'hui paraîtront ridicules voire insultants dans dix à vingt ans, le temps qu'une nouvelle génération porte un regard différent sur le monde qui les entoure.
Merci à lui d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.