Defiance – Journal d’un pillarche #15 : Rendez-vous avec l’histoire
Le Ranch des Démons de Fer, nommé ainsi par John Cooper en l'honneur de son ancien bataillon, était constitué de quelques anciens bâtiments de ferme efflanqués et dans état plus qu'incertain ainsi que d'une maison faisant meilleure figure au milieu de ce décor. Cooper l'utilise d'ailleurs comme sa résidence personnelle, bien qu'il passe le plus clair de son temps dans la cave aux allures de bunker, transformée en salle de contrôle. Cette propriété est une des très rares de cette taille dans la Baie à avoir été relativement épargnée par le cataclysme qui a suivi la Chute des Arches ainsi que le gigantesque incendie qui en a découlé.
Cooper s'en étonne encore bien souvent : "il doit y avoir une explication, pourquoi cette clémence du destin ?", dit-il alors. Il fait allusion bien entendu au terrible évènement qui s'est produit à San Francisco il y a de cela bien des années alors que je n'étais encore qu'un paria emprisonné dans la prison de Vegas. Bien qu'il s'en soit sorti sans trop de casse physiquement, Cooper est détruit moralement, et il y a de quoi... Je me souviens encore de cette histoire sordide, et il m'a maintes fois répété qu'il aurait dû y rester ce jour-là.
C'était par une fin d'après-midi d'une journée étouffante. Alors que les derniers rayons de soleil pointaient à l'horizon, nous étions attablés, le justicier John Cooper et moi, à une table à l'extérieur du Cratère, occupés à descendre nos bières. John devait en être à sa dixième au moins, je ne me souviens plus exactement du nombre mais cela est tout de même suffisamment rare pour être souligné. Abrutis par l'alcool et au détour d'une conversation, que je me dois de reconnaître comme étant particulièrement affligeante au sujet des deux irathiennes court vêtues qui nous dévisageaient depuis un bon moment du bar, il me lança :
"On n’avait pas le choix Yul tu comprends ! Je veux dire, Torc, Nolan et moi-même étions dans le schtako jusqu'au cou, et il fallait faire ce que nous avons fait !"
"Mais de quoi tu me parle ?"
"La Bataille de Defiance bien sûr, quoi d'autre ?"
Ce n’était pas la première fois que j'avais entendu cela, la "Bataille de Defiance". Bien entendu, les histoires étant ce qu'elles sont dans une époque où le bouche à oreille fonctionne de nouveau bien mieux que l'écrit et que les technologies ne sont plus accessibles au plus grand nombre, je n'en avais entendu que des brides, et notamment à propos de la fin tragique survenue à un nombre important de civils suite au déclenchement d'un terraconteneur sur la cité. Je savais que Cooper avait quelque chose à voir dans cette histoire mais je n'ai jamais osé lui poser la question, je sentais que je ne devais pas lui en parler. Toujours est-il qu'il reprit :
"Tu as entendu parler de ce terraconteneur bien sûr, comme tout le monde, mais connais-tu les raisons de son déclenchement, et surtout qui en sont les véritables responsables ?"
"Non", ai-je simplement répondu.
"Alors reprend une bière, il risque d'y en avoir pour un moment..."
La Bataille de Defiance
En fait, nous sommes parti d'un constat simple : cette guerre n'avait que trop duré et vu la tournure que prenaient les choses, la Terre entière allait y passer, alors à quoi bon ? Y'en avait ras-le-bol de voir toute cette effusion de sang en pure perte, aucune des parties ne progressait et cela nous menait à une impasse, tout le monde allait mourir, point barre. La suite, tu la connais, je ne vais pas m'étaler dessus, nous avons laissé tomber, des deux côtés, et nous avons commencé à reconstruire ensemble main dans la main, votans et humains, la petite place fortifiée de fortune sur les ruines de San Francisco. Enfin, nous avons essayé en tout cas. Le fait est que nous étions plutôt en état de siège permanent, à cause des barges de l'EMC et du Collectif de Votanis qui refusaient de déposer les armes et qui tentaient de faire pression. Surtout car nous devions lutter contre les agents infiltrés du Fléau de l'Ouest, les pires. Bref, San Francisco était loin d'être un havre de paix. Mais malgré tout nous gardions espoir, notre petite garnison de dissidents semblait tenir le choc et les civils qui affluaient ne rechignaient pas à la tâche.
Et puis il y eut ce type, Jadock Ralek, un sensoth, qui nous a porté un message ce matin-là, le jour de cette "fameuse" journée. Le commandement de notre bataillon à ce moment était assuré par Joshua Nolan, Torc Mok et moi-même. Nous étions en quelque sorte les "stratèges militaires" du coin, bien que nous nous sommes jamais considérés comme tel, nous faisions simplement notre boulot, ce que nous avions l'habitude de faire, enfin bref je m'égare... Donc Ralek s'amène et file voir Mok directement sans s'arrêter en passant devant Nolan et moi tandis que nous étions en train de vérifier les batteries des artilleurs au plasma lourd autonomes. Je n'ai jamais rien compris à ce que les sensoth peuvent baragouiner lorsqu'ils sont entre eux mais cela semblait grave. La mine préoccupée (enfin, plus que d'habitude) Torc nous a rapidement fait signe de venir.
"Les troupes d'élites du Fléau de l'Ouest marchent vers nous en ce moment même, ils sont à 6h de notre position s'ils conservent leur rythme actuel. Notre éclaireur Jadock a pu comptabiliser plus de 300 hommes à pied, lourdement armés. Et pour couronner le tout, Nim Shondu marche à leur tête."
Inutile de te dire que la situation était désespérée : notre petit contingent serait littéralement balayé par une troupe d'élite du Fléau de l'Ouest surentraînée et armée jusqu'aux dents, nous en avions parfaitement conscience. Malgré tout, il fallait faire face, pas le choix. Notre seule préoccupation était de protéger autant que possible les civils en couvrant au maximum leur fuite. Cependant notre position devait être d'ors et déjà considérée comme perdue.
Ce fût à ce moment précis qu'Amelio Rodriguez, notre responsable logistique, sortant de l'atelier à proximité en frottant ses mains dans un torchon plein de cambouis et avec sa fille Rosa accroché à sa jambe, intervint :
"Soyez plus discrets les gars", nous dit-il, "on entend tout là-dedans, inutile d’affoler tout ce petit monde."
Amelio n'était jamais à court d'idée, les meilleures comme les plus mauvaises d'ailleurs, et il avait réponse à tout, ou presque. Et une fois n'est pas coutume, il nous fît une proposition :
"Moi, ce que je pense humblement, c’est qu’il faut faire partir les civils au sud, puis balançons le terraconteneur."
Bah voyons... Brillante idée, sauf que San Francisco ne s'en remettrait jamais. Activer le terraconteneur consisterait à lâcher sur la Baie une onde massive de Mag-Tech cataclysmique et irréversiblement destructrice pour l'environnement. C'était bien entendu totalement exclu.
Nous avons donc préparé tant bien que mal l'évacuation des civils, mais cela allait trop lentement et dans un désordre inimaginable, nous n'étions pas assez pour gérer cela. Et lorsque Nim Shondu et ses troupes arrivèrent en haut de la colline surplombant notre position, il était déjà trop tard. Un feu nourrit fût automatiquement déclenché par les mitrailleurs à plasma lourd que nous avions mis en position face à la crête, ce qui ne fût pas vraiment efficace comme je m’y attendais, mais nous permis cependant de gagner du temps pour continuer l'évacuation, Nim et ses hommes avançant plus lentement. Torc commandait l'appui feu derrière ses artilleurs et Nolan et moi étions à la manœuvre sur les mortiers à charge cristalline dont nous disposions. C'est alors que deux troupes supplémentaires que nous n'avions même pas vu arrivèrent sur nos flancs, par l'arrière, coupant toute retraite, c'était terminé. Il restait encore beaucoup de civils à l'éxterieur, beaucoup trop.
Après avoir appelé à un repli, nous n’avons pas eu d’autre choix, nous avons appuyé sur le bouton de chargement du terraconteneur et avons couru nous mettre à l’abri dans un bunker antiatomique à proximité pendant que les troupes de Nim entraient dans notre bastion...
Préparatifs
Lorsque Cooper a fini son histoire, j'ai été bien forcé d’admettre le poids de la culpabilité qui pesait sur ses épaules, à lui comme à Torc Mok et Joshua Nolan. Après la mise en route du terraconteneur, les civils qui se sont retrouvés coincés à l’extérieur sont morts dans des circonstances affreuses. Et bien que cette décision a permis de sauver également beaucoup de monde ce jour-là, et au passage porter un coup particulièrement brutal au Fléau de l’Ouest le forçant à se replier et se faire oublier, pendant un moment du moins, il marqua profondément et définitivement ses hommes de responsabilités.
Je suis sorti de mes pensées cependant que je posais mon pied sur la première marche de l’échelle menant à la cave-bunker de John Cooper, le justicier de Madera, dans laquelle il m’attendait en compagnie de Torc Mok, mais pas de Joshua Nolan cette fois-ci. Celui-ci étant à priori lui-même justicier de la ville de Saint Louis, d’ailleurs devenue Defiance en l’honneur de leur tragique histoire commune. Une fois de plus, les deux compères auront affaire à l’histoire en tentant d’empêcher par tous les moyens possible le Fléau de l’Ouest de meurtrir une fois de plus la Baie et ses habitants en utilisant la technologie de destruction massive que sont les Melekesh. Mais cette fois-ci, ils ne seront pas pris au dépourvu et pourront s’appuyer sur un important groupe de pillarches endurcis et prêts au combat. Et bien entendu, je serai de la partie.