Wednesdays – Un récit lumineux sur un sujet tabou
Version testée : PC et Mac
Plates-formes disponibles : PC, Mac
Genre : Visual Novel
Prix conseillé :
Date de sortie : 26 mars 2025
Studio / Editeur : Pierre Corbinais, The Pixel Hunt, exaheva / Arte
Clé fournie par l'éditeur, merci à eux !
Wednesdays s’attaque à un sujet aussi rare que courageux dans le paysage vidéoludique : les violences sexuelles intrafamiliales, et plus spécifiquement l’inceste. Sorti le 26 mars 2025 sur PC et Mac via Steam et itch.io, ce jeu narratif, qui emprunte autant au roman graphique interactif qu’au jeu de gestion, propose une plongée dans la mémoire de Timothée, un adulte enfin prêt à se confronter aux abus subis dans son enfance. Avec une direction artistique rétro en 2D et une ambition claire de sensibilisation, Wednesdays intrigue autant qu’il déroute. Mais parvient-il à transformer son propos en une expérience vidéoludique réussie ? Pas entièrement.
Le concept central repose sur un jeu de gestion de parc d'attractions, Orco Park, un jeu auquel jouait Tim enfant, qu'il relance et qui fait resurgir des souvenirs enfouis. Chaque attraction construite sur l'île va faire plonger notre personnage dans un souvenir précis, déverrouillant des vignettes narratives où le joueur incarne différents personnages de son entourage (de sa grand-mère à sa première petite amie en passant par des amis…). Cette mécanique vise à refléter la fragmentation de la mémoire traumatique et à interroger les silences complices ou involontaires des personnes gravitant autour de Timothée. Le but étant de sensibiliser le joueur à un sujet tabou tout en évitant les représentations explicites, grâce à des avertissements de contenu et une approche délicate (illustré avant la construction de chaque attraction par un pictogramme décrivant les sujets abordés durant la scène). Pierre Corbinais, l’auteur, insiste d’ailleurs sur cette volonté de briser la loi du silence sans heurter, un pari risqué mais nécessaire.
Visuellement, Wednesdays séduit par son esthétique contrastée. Les souvenirs, dessinés dans un style BD indépendant, évoquent une intimité brute et émouvante, tandis que l’univers d’Orco Park, en pixel-art rétro, offre une fausse légèreté, marquant le décalage entre l’innocence enfantine et la gravité des thèmes abordés. Cette dualité graphique renforce l’idée que le trauma peut se cacher derrière des façades en apparence anodines. La bande-son, relaxante malgré le sujet, tente également d’insuffler une note d’espoir, un choix qui surprend mais qui permet à l'œuvre de ne pas sombrer dans le pathos. J'ai plusieurs foi affiché un sourire triste face à mon écran, en voyant Timothée discuter avec ses différents interlocuteurs de manière légère alors que le sujet est d'une noirceur totale.
En terme d'écriture et de propos, Wednesdays est une franche réussite, invitant chacun de nous à s'exprimer, à prendre la parole et surtout, à écouter et à être attentif à ce qu'on entend, voit et fait.
Sur la partie gameplay, c'est… disons le, assez sommaire. La mécanique de gestion de parc, bien qu’originale, est (volontairement) rudimentaire et semble artificielle après quelques allers et venus dans le parc, ce qui nous sort un peu de ce récit désordonné. L'idée était sans doute de créer des "soupapes de décompression" et de faire une pause en cas de besoin, mais ça casse le rythme de cette histoire qui occupera 2 heures de votre temps.
Durant les souvenirs, on est face à un visual-novel très classique, où l'on sera amené à choisir différentes options de dialogues, ce qui change légèrement la teneur du récit. J'aurais aimé une écriture plus incisive ou des choix aux conséquences plus marquées pour refléter la complexité psychologique du sujet, mais c'est un sentiment très personnel que j'exprime ici.
Dans sa volonté de rendre le titre accessible au plus grand nombre, on peut noter diverses options d’accessibilité, permettant de découvrir le jeu même en ayant aucun prérequis vidéoludique. On en vient toutefois à se demander comment Wednesdays souhaite se positionner, hésitant entre être une œuvre artistique introspective et un outil pédagogique, un entre-deux curieux mais pas déplaisant.
Wednesdays est une œuvre courageuse qui mérite d’être saluée pour son audace et sa sincérité. Pierre Corbinais ose poser des questions dérangeantes dans un médium encore frileux face à de tels thèmes. Le sujet est lourd, mais traité sans que ça ne le soit trop (une prouesse…). Wednesdays est à saluer pour ce qu’il représente : une prise de parole, imparfaite mais essentielle, dans un silence trop longtemps assourdissant.