PGW 2015 – Interview Emmanuel Martin (SELL)
A l'occasion de la PGW, Onidra a eu l'opportunité de discuter avec Emmanuel Martin, Délégué Général du SELL.
Bonjour, pourriez-vous vous présenter rapidement auprès de nos lecteurs en nous parlant de votre rôle au sein du SELL ? Comment en êtes-vous arrivé là ?
Bonjour, je m'appelle Emmanuel Martin, je suis le délégué général du syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), syndicat qui représente donc les éditeurs de jeux vidéo, et cela fait déjà trois ans que je suis Délégué Général du SELL, j'étais auparavant responsable de la communication des affaires publiques. Je viens plutôt du monde de l'internet, plus spécifiquement ce qui concerne la création de sites et la narration interactive. J'ai toujours été un Gamer alors quand j'ai pu concilier mon intérêt pour ce qui concerne la narration et les jeux vidéo, mon choix s'est fait de manière évidente.
Vos collaborateurs et vous êtes chargés de l'organisation de la Paris Games Week. Concrètement, comment cela se passe pour en arriver là et quand avez-vous commencé à travailler sur cette édition 2015 ?
Alors, nous avons une durée de production d'un an et demi sur une Paris Games Week, c'est-à-dire qu'en ce moment, cela fait déjà six mois que je travaille sur l'édition 2016. Le salon est vraiment devenu très important, ce dont on est très fier et cela demande donc de travailler en amont le plus tôt possible sur tous les éléments qu'il convient d'avoir pour une édition et il y a effectivement beaucoup de boulot pour nos équipes. D'un autre côté, lorsque l'on est sur des journées comme aujourd'hui (l'interview a été réalisée le mercredi) où l'on voit tous ces éléments se mettre en place, ce sont de bonnes sensations de s'occuper d'un événement comme ça.
Tout se passe bien pour l'instant ?
Oui, pour l'instant tout se passe bien, on a vraiment une édition qui est assez monumentale. C'est seulement la sixième édition, ce n'est pas si vieux que ça, la Paris Games Week ! Et penser qu'il y a cinq ans, lors de la première édition, on était sur 12 000 m² ! Là, cette année, on est sur 62 000m² et personnellement je trouve que les stands sont magnifiques... On est très fiers, très impressionnés par ce qu'est devenu ce salon en si peu de temps.
Quel a été l'axe principal de travail pour cette édition 2015 ?
Notre principal axe de travail a été d'essayer de rassembler véritablement toutes les composantes du jeu vidéo. Evidemment, il y a les éditeurs qui viennent montrer leurs jeux, les éditeurs, les consoliers... Mais on a aussi l'e-sport sur lequel on travaille depuis la première Paris Games Week et qui est une composante très importante pour nous. On a la Paris Games Week Junior, on a les écoles, les studios. A chaque fois on essaie de rassembler le plus possible toutes les composantes de la culture du jeu vidéo, en apportant des contenus peut être un peu originaux ou que l'on n'avait pas encore explorés. Je vais vous donner quelques exemples.
On a tout d'abord une galerie d'art cette année avec une artiste qui s'inspire du jeu vidéo et qui s'appelle Ideealizse. On est très fiers d'avoir une vraie galerie d'art au sein de la Paris Games Week. On peut y découvrir une artiste, on peut acheter ses œuvres, les bénéfices sont reversés à une association caritative donc en plus c'est un fonctionnement qui est assez sympathique et puis ça permet de montrer que le jeu vidéo inspire d'autres éléments.
On a également un partenariat avec le musée d'Art Ludique. En ce moment il y a une magnifique exposition qui montre à quel point ce sont des artistes qui font les jeux vidéo et là aussi, on est très fier de travailler avec eux.
Donc voilà, à chaque que l'on peut travailler avec le retro-gaming ou le junior, que l'on peut apporter des éléments, des briques pour donner sa place à tout le monde, aux associations, aux éditeurs, aux constructeurs ou aux gens qui font de l'e-sport, on essaie vraiment de rassembler tous les acteurs du jeu vidéo.
Avez-vous une idée pour la "brique" suivante ? Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter et que vous n'avez pas pu ?
Il n'y a pas encore assez de jeux mobiles sur la Paris Games Week. C'est vrai que c'est un peu plus compliqué à faire fonctionner. Ce sont des expériences de jeu qui sont très courtes, il y en a quelques uns sur le stand des indépendants, des jeux "Made in France". Il me semble que l'on en a quelques uns sur le stand de nos amis de Bandaï Namco. Mais il est vrai qu'un acteur comme King par exemple, qui est adhérent du SELL, ça fait quelque temps que je lui cours après pour le faire venir. Ils étaient venus il y a deux ou trois ans mais n'ont pas renouvellé l'expérience. Et il y a toujours des acteurs qui nous manquent puisqu'il y a aussi des questions de timing, de sorties ... Et à titre personnel, il y a un acteur qui me manque et qui fera que je ne serai pas totalement satisfait tant que je n'arriverai pas à le faire venir : c'est Blizzard. L'équipe de Blizzard organise la BlizzCon en même temps et pour elle c'est impossible de faire les deux événements. Simplement en tant que joueur, j'aimerais les voir sur la PGW.
Je vous comprends ! J'ai lu une interview de 2014 où vous répondiez à la question des ambitions européennes du salon, et vous disiez que vous ne vouliez pas vous limiter et étiez admiratif de la Gamescom. Vous êtes-vous inspiré de ce salon sur certains points ?
La Gamescom c'est notre référence. Que ce soit en tant que professionnel ou en tant que joueur c'est un salon qui est superbe. Les organisateurs font un travail formidable. Donc, évidemment, pour nous c'est un modèle. Après, on a notre identité propre, on ne fait pas les choses de la même façon qu'eux. On travaille beaucoup sur des espaces éditorialisés par salons comme le junior, le rétro-gaming, les écoles, les studios... Ce sont des espaces où nous produisons le contenu, nous invitons les gens à venir sur le salon. On a une façon de fonctionner un peu différente. La conférence PlayStation, on ne l'a pas "volée", c'est une décision à 100% de PlayStation. Ca a été une vraie surprise pour nous aussi lorsqu'ils l'ont annoncée. On travaille vraiment pour faire le plus bel événement possible : d'abord pour le public français, et puis si le salon devient visible à l'international et que cela permet d'attirer encore plus d'exclusivité pour le public...
Là où l'on voit que ça fonctionne plutôt bien, c'est qu'avant nous n'avions quasiment que des jeux de fin d'année. Cette année, sur la Paris Games Week, vous avez une trentaine de jeux qui sont des jeux 2016 déjà jouables et vous avez des avant-premières mondiales. C'est donc pour nous extrêmement gratifiant. C'est une vraie reconnaissance de notre travail de voir que la Paris Games Week attire et sert de plate-forme de communication pour les éditeurs.
A votre avis, quel sera LE jeu dont on se souviendra suite à cette Paris Games Week 2015 ?
Ça c'est la question ultra-piège pour moi, il me semble qu'en plus j'ai mon président à côté. [Rires] Non c'est difficile, là je ne peux vous faire qu'une réponse de gamer. Evidemment, je suis un fan de Star Wars, je vais avoir du mal à dire autre chose que Battlefront personnellement. C'est un jeu que j'attends avec impatience.
Nous avions discuté avec quelques éditeurs il y a plus d'un an, ils nous avaient avoué que, pour eux, le problème était le coût de la Paris Games Week. Est-ce quelque chose sur lequel vous travaillez ? Essayez-vous d'aider les plus petits à venir ?
Evidemment, on parlait de comparer à la Gamescom. La Gamescom est en août, à Cologne ; le maire de Cologne et le président de la Koelnmesse (équivalent du Parc des expositions de la Porte de Versailles) ainsi que de nos équivalents allemands (la Gamescom est organisée comme la Paris Games Week par le syndicat national des jeux vidéo), je pense qu'ils ont des conditions financières qui n'ont rien à voir avec un salon dans Paris, pendant les vacances scolaires et le week-end de la Toussaint... la différence du prix au m² est vraiment sans rapport. Donc c'est un investissement beaucoup plus lourd pour ceux qui sont présents.
On a donc développé pour compenser cela, et notamment vous l'avez dit auprès des petits acteurs, une véritable politique d'invitation. C'est à dire les studios français, les écoles, beaucoup d'associations et de communautés qui sont présents sur la Paris Games Week sont invités. Cela va de la mise à disposition de l'espace, à la dotation de mobiliers, de moyens techniques ou de structures. On essaie le plus possible de les aider pour qu'ils puissent participer au salon même s'il est vrai qu'on ne sera jamais sur la même échelle de prix que la Gamescom. Si vous faites un salon en plein mois d'août en France, je pense que vous serez tranquille et qu'il n'y aura pas grand monde. Donc on travaille beaucoup pour essayer d'offrir de la place à tout le monde, même à ceux qui n'ont pas beaucoup de moyens.
Vous parliez donc d'inviter les petits éditeurs français, est-ce que vous prévoyez éventuellement d'étendre ça à d'autres pays ?
On tourne autour de l'idée d'avoir un pavillon indés européen. On a failli le faire cette année, on n'y est pas arrivé. On va donc sans doute remettre cela à plat et travailler là dessus pour l'année prochaine effectivement.
Je vais passer maintenant à L'essentiel du jeu vidéo qui est donc sorti juste avant la Paris Games Week, l'étude porte sur les joueurs. Aujourd'hui, un joueur vous le définissez comment concrètement ? Vous dites qu'il y a X% de joueurs, etc. mais pour vous un joueur c'est quoi ?
On va repartir 15 ans en arrière. En 1999 on a fait la même étude et le portrait-robot du joueur français c'était un homme : 90% d'hommes, très jeune (21 ans de moyenne d'âge) et 20% de la population française. On était donc vraiment sur le cliché : les jeux vidéo, c'est pour les jeunes. Aujourd'hui, on est sur une parité hommes/femmes, 35 ans de moyenne d'âge et 50% de la population. Ce que ça veut dire en fait, c'est qu'il n'y a plus de moyens de faire un portrait-robot du joueur puisque ça concerne tout le monde aujourd'hui. Ça concerne aussi bien les hommes que les femmes, avec des tranches d'âge qui vont de 5 ans jusque 55-60 ans : on a vu le succès de la Wii dans les maisons de retraite. Donc aujourd'hui, avoir un portrait-robot du joueur, c'est devenu impossible dans la mesure où aujourd'hui le jeu vidéo ça concerne... tout le monde. A partir de là, il y a autant de diversités qu'il peut y en avoir dans la population française.
Est-ce que vous considérez comme "joueur" quelqu'un qui ne va jouer que quelques fois par an, par rapport à quelqu'un qui va vraiment jouer de façon assidue ?
On a une typologie, on considère un joueur qui joue au moins deux-trois fois par mois, donc une pratique régulière. On exclut la personne qui va ouvrir son solitaire sur son PC une fois par an. C'est une définition qui est assez large, donc après on la restreint. Dans l'étude il y a des catégories : les gens qui jouent tous les jours, les gens qui jouent une ou deux fois par semaine, une ou deux fois par mois.... Il y a donc une certaine typologie mais quand on parle de joueurs au sens large, on est sur des gens qui jouent régulièrement.
Quelles ont été pour vous les plus grosses surprises de cette étude ?
Il y en a deux. La première, c'est sur cette population interrogée, qui est de 10 à 65 ans : un tiers de cette population s'intéresse au eSport. J'avoue que je ne pensais pas que c'était autant. L'autre truc c'est que 15% de cette population a envie de travailler dans le monde du jeu vidéo, c'est tellement énorme. Ce sont les deux chiffres qui m'ont vraiment étonné.
Quels sont les plus gros changements dont vous avez été témoin sur le marché des jeux vidéo ?
C'est cette évolution sur les 15-20 dernières années et ce qui nous a fait basculer dans le monde du grand public, c'est la Wii. La Wii, bien avant les smartphones, les smartphones et tablettes ayant contribué à l'accentuer, a fait basculer le jeu vidéo dans le grand public. Elle a convaincu beaucoup de femmes, elle a dé-diabolisé le jeu, elle en a fait une activité sociale acceptable, elle a fait que quand on se réunissait entre amis, on pouvait proposer de faire une partie de jeu vidéo à la fin d'un repas. Ça c'est grâce à la Wii. Pour moi, c'est le changement qui a été vraiment crucial ces dernières années.
D'après l'étude, on voit vraiment que le consommateur semble bien présent, malgré la "crise". Comment se portent les studios français ? Est-ce toujours aussi créatif ?
Oui. On s'aperçoit qu'il y a des perspectives qui sont plutôt intéressantes pour les studios. Il y a une étude qui a été faite par le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) qui est le syndicat des studios, une étude qui s'appelle le baromètre du jeu vidéo et qui est sortie la semaine dernière, qui montre que le moral, en tous cas dans les studios, est plutôt bon. On vient d'avoir de belles évolutions du crédit d'impôt, la ministre de la culture a annoncé aussi la semaine dernière la création d'un fonds participatif pour les entreprises, les studios du jeu vidéo. Donc ça y est, on commence à avoir un dispositif d'aide publique, de soutien à la production du jeu vidéo, qui est intéressant et qui nous permet d'avoir une compétition un petit peu plus juste avec le Canada, le Royaume-Uni, tous ces acteurs là qui ont vraiment des dispositifs qui sont très efficaces, voire quelquefois assez délirants. Je pense que les perspectives et le moral sont plutôt bons dans les studios français.
Et vous collaborez justement avec ce syndicat ?
Bien sûr ! Le SELL et le SNJV travaillent ensemble au quotidien, on est extrêmement coordonnés. Hier et aujourd'hui, ils avaient un événement propre qui s'appelle les EIGD (ndlr : European Indies Games Days) et qui se déroule à Montreuil. La soirée de clôture des EIGD se passe sur la Paris Games Week. On travaille ensemble sur tous les sujets.
Comment réagissez à la perte d'indépendance de plus en plus de sites de la presse vidéo-ludique rachetés ?
Est-ce que c'est une perte d'indépendance ou une concentration ? Mon sentiment c'est qu'effectivement, plus il y a d'acteurs, plus ça fonctionne. Et plus on a d'acteurs en bonne santé, mieux c'est. Je pense qu'il y a à la fois une crise assez globale de la presse, qu'elle soit numérique, papiers ou avec de nouveaux modèles qui sont compliqués à mettre en place. Donc il y a dans ce premier temps le contexte général pour tous les médias. Et plus spécifiquement dans le monde du jeu vidéo, le fait qu'on soit à une transition entre la génération sept et la génération huit a été compliqué pour beaucoup d'éditeurs, ce qui a entraîné une baisse des budgets marketing qui sont une source de revenus pour beaucoup de médias. Il y a effectivement eu une période extrêmement compliquée. J'ai plutôt le sentiment, mais encore une fois je ne suis pas un spécialiste des média, qu'aujourd'hui, même s'il y a une concentration, il y a quand même beaucoup de belles réussites et notamment indépendantes que ce soit en presse papier ou non. On a plutôt l'impression que cela repart un peu du bon pied sur ces univers là. Après, encore une fois, j'avoue que j'ai peut être une expertise assez limitée sur les médias en général.
En guise de conclusion, vous en tant que joueur, vous jouez à quoi en ce moment ?
Je n'ai eu aucun moment pour jouer dernièrement. J'ai joué à Mortal Kombat X un peu parce qu'on y joue au bureau. Je suis un joueur de RPG, c'est le style de jeu qui prend le plus de temps et par exemple The Witcher, c'est le jeu que je n'ai surtout pas voulu regarder comme ça, parce que je sais que ça aurait été très compliqué dans la période actuelle. Après la Paris Games Week, j'aimerais bien essayer de rattraper The Witcher, j'aimerais bien aussi rattraper Pillars of Eternity qui a l'air très bien et que je n'ai pas fait, et puis Battlefront qui va arriver où j'aimerais bien essayer de jouer en multi-joueurs, ce qui pour moi n'est vraiment pas mon style de jeu, mais je suis curieux de voir ce que ça pourrait donner. C'est vrai que très honnêtement en ce moment, dans les deux semaines dernières, j'ai dû jouer deux heures à Mortal Kombat...
Un grand merci à Emmanuel Martin de nous avoir accordé tout ce temps durant cette première journée de mercredi qui était pourtant pour lui une véritable course contre la montre !