Assassin’s Creed : Shadows – Entre tradition et modernité
Version testée : PS5 Pro
Plates-formes disponibles : PC, PS5, Xbox Series, Mac
Genre : Action-Aventure / Infiltration
Prix conseillé : 79,99€
Date de sortie : 20 mars 2025
Studio / Editeur : Ubisoft Québec / Ubisoft
Clé fournie par l'éditeur, merci à eux !
Avec Assassin’s Creed Shadows, Ubisoft Québec (aidé par quelques succursales) plonge enfin les joueurs dans le Japon féodal, un décor réclamé depuis des années par les fans de la licence (dont je fais partie). Situé à la fin de la période Sengoku, en 1579, le jeu nous invite à incarner deux protagonistes aux styles distincts : Naoe, une shinobi agile et discrète, et Yasuke, un samouraï africain inspiré d’une figure historique réelle. Ce duo incarne à lui seul le tiraillement entre tradition et modernité qui traverse cet opus, tant dans son récit que dans ses mécaniques.
Attaquons de suite par l'angle visuel, qui, disons le clairement, se révèle éblouissant à plus d'un titre. Shadows impressionne et exploite à merveille les capacités de cette génération de consoles qui n'a que trop rarement livré pareilles œuvres. Grâce à une version améliorée de son moteur maison Anvil, le jeu offre un monde ouvert d’une beauté saisissante, où les saisons dynamiques – printemps, été, automne, hiver – rythment l’expérience et renouvellent sans cesse l'intérêt pour ces zones qu'on a déjà parcourues à pied ou à dos de cheval. Les champs verdoyants du printemps cèdent la place aux neiges austères de l’hiver, influençant le gameplay : les herbes hautes deviennent des cachettes éphémères, et les étangs gelés bloquent certains accès. Cette attention au détail environnemental rappelle la tradition d’immersion historique qui a fait le succès de la série, et parvient à ajouter, à se sublimer grâce au Ray-Tracing, qui est exploité à sa juste valeur, pour une fois. Le résultat est saisissant, avec l'ombre de chaque feuille visible au sol, même si, version console oblige, on se retrouve parfois avec de l'aliasing, qui vient légèrement ternir un rendu de haute volée.
Pourtant, ce tableau idyllique souffre de quelques accrocs. Si les décors naturels sont splendides, force est de constater que les villages et les animations des PNJs trahissent parfois un manque de finition, un défaut récurrent des jeux de la firme, qui souhaitent absolument fournir des mondes vastes, vibrants et réalistes, quitte à abuser du copier/coller. Les visages, malgré des progrès depuis Mirage, manquent encore d’expressivité dès lors qu'on sort du carcan des personnages principaux, ce qui nuit à l’immersion globale dans les dialogues.
En parlant de dialogues, il est important de noter que le studio propose un mode immersif, qui mêle essentiellement japonais et portugais, afin de coller au mieux au contexte historique de l'époque. Pour ceux ne souhaitant pas passer une soixantaine d'heures à lire des sous-titres, soyez rassurés, une VF est disponible et se révèle d'assez bonne facture (bien loin de la tristement célèbre voix française - refaite depuis - de l'influenceur Louis-San).
Côté gameplay, Shadows oscille entre un retour aux sources et une volonté d’innovation. Naoe incarne la tradition des Assassins avec son agilité plus affutée que jamais et ses outils de shinobi – kunais, grappin, bombe de fumée – tandis que Yasuke, avec son arsenal de samouraï (katana, lance, arc...), apporte une approche plus frontale et moderne, héritée des combats RPG des derniers opus comme Odyssey et Valhalla. Le système d’éclairage dynamique, où l’on peut éteindre des lanternes pour se fondre dans l’obscurité, est une belle trouvaille qui renforce la tension des phases d’infiltration et qui m'a personnellement fait opter pour Naoe dans une grande partie de l'aventure, en multipliant les tentatives d'infiltration avec une réussite … mitigée. Heureusement pour moi, on peut à présent faire appel à des alliées lors de coups durs pour tenter de se sortir du pétrin. Ayant opté pour la difficulté "Expert" (qui rend l'IA plus méfiante, résistante et attentive), j'ai souvent été désynchronisé, le titre étant très punitif, pouvant me faire passer de vie à trépas avec une seule grosse attaque d'une unité d'élite (même à niveau équivalent). Heureusement, armé de son katana, son tanto ou son kusarigama, Naoe n'est pas en reste et peut offrir de jolis moments de combats, avec une vivacité qui fait défaut à Yasuke, bien plus brutal dans son approche.
En grossissant le trait, jouer Yasuke, c'est incarner une espèce de force de la nature qui rien ne semble pouvoir arrêter. Plus résistant, bien plus fort, notre samurai est un être qui est là pour démolir tout ce qui passe devant lui. Les finish moves sont assez équivoques pour montrer la différence profonde d'approche entre les deux protagonistes. Décapitation, corps quasiment coupé en deux, on ressent un plaisir viscéral (pour ne pas dire barbare) à avancer puis à balancer un coup de pied faisant voler l'ennemi sur 15 mètres (je n'exagère même pas) pour le voir se fracasser contre un obstacle. Si ça vous semble trop violent, vous pourrez opter pour l'arc ou le fusil teppo pour les armes à distance, ou pour le naginata (pensé pour attaquer plusieurs unités en même temps) ou kanobo (une masse qui brise tout), en plus du katana long.
Chaque arme dispose d'un arbre de compétences qu'on pourra monter à mesure que l'on gagne en expérience en accomplissant des quêtes et en réalisant les nombreux objectifs qui parsèment la (grande) carte de Shadows.
Il convient toutefois de nuancer la partie gameplay, qui, une fois n'est pas coutume, souffre d'écueils communs à la série, notamment le Parkour. On a tous eu ce souci en jouant à Assassin's Creed et il n'a pas disparu, même s'il m'a semblé moins gênant qu'avant. Naoe, comme tous les assassins ayant traversé les âges, a une tendance occasionnelle à sauter au mauvais endroit, ou à escalader un mur qu'elle n'aurait pas dû, ou encore à rester coincée sur un rebord, interrompant une session de free-run jusque-là sans accroc. C'est toujours frustrant, même si Ubisoft semble s'être dit que le grappin serait un bon palliatif à ça. Et franchement, ça fonctionne, même si ce n'est pas parfait, en fluidifiant de nombreuses séquences de grimpette.
Yasuke n'aura pas ce souci, vu qu'il est bien moins agile et se vautrera dès qu'on tente de faire un truc un peu trop acrobatique (ne serait-ce qu'un saut de la foi !), il préfèrera courir dans une porte pour la défoncer tel un bélier. Un gameplay plus terre à terre, qui ravira sans doute une frange de joueurs, même s'il s'avère de facto plus lent, moins fluide et bien moins aérien. Enfin, même si l'IA est plus retorse comme dit au-dessus (dans ses plus hauts niveaux de difficulté), on dénote toujours quelques manquements. Parfois totalement aveugle alors qu'on est à deux mètres, parfois clairvoyante alors qu'on est derrière 3 murs… c'est un peu la loterie et ça prête à sourire comme ça énerve, en fonction de notre situation.
N'ayant pas encore vu défiler le générique de fin, je n'entrerai pas en détails sur l'histoire d'Assassin's Creed : Shadows. D'entrée de jeu, on sent une volonté d'Ubisoft de remettre un peu en avant l'Animus et la méta-histoire, même si c'est toujours aussi cryptique et mis au second plan. L’histoire est centrée au départ sur Naoe, qui assiste à un événement qui va changer sa vie et va la mener dans une quête de vengeance qui s'avèrera longue, et qui prendra d'autres formes au fur et à mesure de l'aventure, dans un Japon en proie au chaos. Le prologue est long, très long. Après une rapide introduction de Yasuke, on bascule sur Naoe pour une bonne douzaine d'heures nécessaire pour comprendre son origin story (via des flashbacks) et comment sa quête vengeresse débute. Yasuke débarquera ensuite, après une quête charnière qui verra nos deux protagonistes liés par un destin inattendu, offrant une perspective complémentaire : Naoe porte l’héritage shinobi, tandis que Yasuke, étranger devenu samouraï, symbolise une modernité disruptive. Leur relation évolue au fil des saisons, une idée narrative audacieuse qui reflète le passage du temps.
Cela ne vous aura sans doute pas échappé, mais l'ajout et la représentation de Yasuke ont suscité de nombreux débats sur internet ces derniers mois. Il s'agit certes d'une figure historique, mais elle est relativement peu documentée et certains craignaient qu'Ubisoft ait ajouté ce personnages au forceps et prenne un peu trop de libertés avec ledit protagoniste. Il n'en est rien, ou en tout cas, son ajout à l'histoire est bien fait. En résulte un personnage bien écrit et attachant, même s'il m'a personnellement moins marqué que l'héroïne de ce duo. Et puis, même si c'était le cas, un Africain au Japon n'est pas plus surprenant qu'un Ezio qui se bat contre le pape. On reste face à une œuvre de fiction, comme depuis les débuts de la série, qui a pris de nombreuses libertés à chaque nouvelle itération de jeu.
À côté de la quête principale, on peut noter un certain soin apporté à de nombreux personnages secondaires et quelques quêtes mieux narrées que ce à quoi la série nous a habitué. Un plus appréciable, qui donne envie d'aller parler aux différents PNJs de l'aventure. J'ai toutefois ressenti une grosse lassitude vis-à-vis des châteaux et autres zones occupés par différentes factions, qui s'avèrent jouissives au début (trouver la meilleure approche pour piller un château, tuer ses gardes et récupérer les généreuses récompenses de ces endroits) puis terriblement répétitives quand on a fait 30 fois la même chose. Sauf quelques rares surprises de structures, on sent ici qu'Ubisoft n'a pas su se réfréner sur le contenu annexe peu engageant. Soit, la carte est moins vaste et pullule moins de points d'intérêt qu'auparavant, ce qui est déjà très appréciable, mais la formule aurait gagné à être plus variée. Récupérer 3 babioles, tuer 4 samouraïs pour débloquer un coffre, accomplir des missions d'animus, c'est sincèrement fun les premières fois, mais ensuite, on y va franchement à reculons, presque obligé d'obtempérer pour être en capacité d'améliorer notre repaire, qui est certes entièrement personnalisable, mais crée pas mal de frustration en termes de ressources à récolter ! Fait étrange qui plus est, c'est le seul endroit de la carte où j'étais constamment sous 40 FPS (via le mode graphique équilibré).
Assassin’s Creed Shadows est un pont entre la tradition de la série et une modernité ambitieuse, proposant deux styles de jeu diamétralement opposés et un duo de protagoniste attachants. S’il séduit par son sublime cadre nippon et ses idées, il trébuche sur des exécutions inégales et quelques longueurs (structurelles et narratives). À mi-chemin entre héritage et renouveau, il incarne les forces et les faiblesses d’une franchise qui cherche une nouvelle voie. Un titre à essayer pour son atmosphère unique, qui évolue dans le bon sens, mais qui n'a pas encore totalement amorcé sa mue. D'un point de vue personnel, je l'adore et je pense qu'il viendra rejoindre mon trio avec Assassin's Creed 2 et Origins, avec ses nombreuses qualités... et ses défauts.