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Le sexisme dans les jeux vidéo

L’industrie et la communauté

Le sexisme dans les jeux vidéo est un sujet qui devient de plus en plus présent car beaucoup de joueuses ont décidé de parler de leurs mésaventures au sein de cette communauté dont elles s’estimaient partie intégrante.
L’article de Marlard sur le sexisme dans la communauté très bien documenté et qui ne laisse pas indifférent (cf. les commentaires) m’a donné envie de fournir une analyse un peu différente du phénomène. Comme précisé dans cet article, le monde du jeu vidéo n’est pas une exception mais plutôt un reflet de notre société comme la plupart des arts ou modes d’expressions.

Il est à noter que dans ce débat, on mélange souvent la représentation de la femme dans les jeux et le harcèlement que les joueuses subissent. J’expliquerai pourquoi, selon moi, ce sont deux problèmes différents.

 

L’image de la femme dans les jeux

Parlons de ce que nous propose l’industrie.

 

L’offre et de la demande

Accuser les éditeurs de sexisme est difficile, car beaucoup regardent le marché par le mauvais bout de la manette. Comme dans la plupart des industries, il y a ceux qui innovent et ceux qui suivent. Les premiers étant une minorité puisqu’il suffit de regarder les nouveautés pour constater la part importante de suites de franchises sur-exploitées. Tendance qui se renforce encore aujourd’hui.

On remarquera d’ailleurs que dans la série de vidéos de Anita Sarkeesian, les jeux innovants ou prometteurs concernant la place de la femme (ou le gameplay en général), sont très souvent des jeux indépendants. Est-ce une pression moindre sur les résultats financiers et donc la possibilité de se consacrer à une niche ? Ou au contraire un besoin de se démarquer dans un marché de plus en plus saturé qui oblige à sortir des sentiers battus et à appréhender le jeu de demain ?

Car en effet, après les nombreuses critiques des féministes (principalement) face au personnage de Kratos et de sa mise en scène dans le jeu God Of War, beaucoup de joueurs masculins sont montés au créneau pour insister sur la grossièreté autant graphique que scénaristique de celui-ci. Mais l’image de la femme comme faire-valoir du valeureux guerrier reste très présente et appliquer le Test de Bechdel aux jeux est une manière radicale pour ouvrir les yeux.

ms-pacman

La génération de joueurs qui a connu la démocratisation du jeu avec les consoles de salon a aujourd'hui bien grandi, leur moyenne d’âge augmente. Ils ne se contentent plus de la surenchère lancée par les éditeurs pour titiller les hormones d’adolescents avec des héros baignant dans la testostérone et des guerrières en bikini 100% Inox.

Et ce sont eux les acteurs de la révolution qui s’opère. Avec le crowdfunding et les plate-formes qui permettent d’auto-éditer son jeu, on voit désormais de nouvelles tête surgir et apporter un élan de fraîcheur sur le marché. Le poids de ces outsiders dans la balance économique reste très limité. Mais le succès de certains pourrait bien donner des idées aux poids lourds de l’industrie.

 

Les chiffres

Alors que la plupart des départements marketing de grandes entreprises sont nourris de chiffres et de statistiques, les données sur les jeux sont quasi inexistantes ou inadaptées. En effet, on claironne que le public féminin augmente dans les jeux vidéo, mais on fait maintenant entrer dans cette catégorie les jeux mobiles et sociaux. Pour l’alpha geek, il s’agit plus d’un affront que d’une tendance ! Et c’est de là que vient la distorsion.

On pense avoir une communauté de joueurs alors qu’elle est constituée de beaucoup d’autres communautés qui ne se côtoient pas forcément.

On est passé d’un public passionné avec un esprit communautaire renforcé depuis l’explosion des MMO à une armée d’Emma Bovary. En effet, comme il est si bien expliqué dans cette vidéo de Merci Dorian, le joueur moyen de social games est une femme de 43 ans. Et si on voit ici que 250 millions de gens ont joués à des jeux sur Facebook en 2013, on voit aussi que malgré ce public gigantesque, cela ne représente qu’une petite partie de l’industrie :

It is estimated that by 2015, the social gaming industry will be worth $9 billion, globally. The video game industry as a whole is projected to be worth $115 billion by 2015.

Traduction : On estime qu’en 2015, l’industrie des jeux sociaux représentera 9 milliards de dollars. L’industrie du jeu vidéo dans son ensemble, représentera 115 milliards.

Tout ceux qui claironnent qu’il y aura bientôt plus de de joueuses que de joueurs sont donc loin du compte en ce qui concerne les communautés de World of Warcraft, Call of Duty, LoL et tant d’autres… Et quand bien même les femmes deviendraient une majorité, ça ne changerait pas grand chose. Il faudra toujours prendre en considération chaque individu, quel qu’il soit.

Puisqu’il n’est plus question de flatter l’ego de l’homme blanc hétérosexuel de moins de 25 ans, la segmentation du marché rend plus difficile la création de jeux grand public.

Bioware a accepté le défi et a osé repousser quelques frontières. Mais quand on voit la richesse de l’univers Mass Effect, on a du mal à accepter un personnage comme Miranda dont la psychologie ne va pas chercher bien loin. Le personnage de femme fatale qui soudain se transforme en "demoiselle en détresse" parce que son papa n’est pas gentil. C’est un archétype parmi les compagnons des jeux Bioware qui aide le joueur à se mettre dans la peau du héros qui va sauver tout le monde. Pourtant, ce trait est trop largement souligné avec les personnages féminins romançables quand on joue un mâle hétéro. Et la tenue de combat ultra moulante … bon passons.

Mass Effect 2 (Miranda)
La position de la caméra est … surprenante !

 

Le harcèlement dans la communauté

Tournons-nous maintenant vers le public, c’est-à-dire vous et moi.

 

Effet de groupe

L’épisode de Aris Bakhtanians, qui a fait scandale dans le monde de l'eSport en 2012, est une pure démonstration de l’effet de groupe. Pour rappel, il s’agit d’un coach qui, lors d’un événement Tekken, a décidé de harceler le seul et unique membre féminin de l’équipe pendant que tout cela était retransmis en streaming. Ce qui a surtout mis le feu au poudre, c’est quand quelqu'un a décidé de prendre la parole pour lui demander d’arrêter et, qu’au lieu de s’excuser, il s’est justifié en expliquant que s’acharner sur quelqu'un parce que c’est une femme était de bonne guerre dans le milieu.

En regardant la définition, on voit que toutes les conditions sont respectées.

Les huit symptômes de la pensée de groupe :

  1. L’illusion de l’invulnérabilité : lorsque les groupes se croient intouchables, ils ont tendance à réprimer la dissidence.
  2. La rationalisation : un groupe est plus soudé lorsqu'il justifie collectivement ses actions.
  3. La croyance en la supériorité morale du groupe : lorsqu'un groupe pense qu’il est moral, il a tendance à ignorer sa propre immoralité.
  4. La transformation de l’opposant en stéréotype : lorsqu'un opposant est considéré avec partialité ou avec des préjugés, les affirmations qui contredisent les convictions du groupe sont ignorées.
  5. La pression de la conformité : une forte pression est exercée sur les individus pour qu’ils s’alignent sur la volonté du groupe et pour qu’ils ne soient pas en désaccord avec lui, sinon ils sont ostracisés, c’est-à-dire écartés des débats, voire sanctionnés ou expulsés.
  6. L’autocensure : les membres du groupe préfèrent garder leurs opinions divergentes pour eux, plutôt que de déserter le navire.
  7. L’illusion de l’unanimité : les dissensions internes sont cachées au groupe. Ainsi, elles semblent inexistantes.
  8. Les gardiens de la pensée : certains membres du groupe s’engagent activement à protéger le groupe de toute dissidence ou information contraire.

wow-pensee-de-groupe

Tous ensemble, tous ensemble, yay yay !

La pensée de groupe a évidemment beaucoup d’inconvénients. Il est difficile de ramener un groupe à la raison quand il commet des actes répréhensibles. C’est pourquoi, il est souvent plus facile de le dissoudre que de le réformer. Mais l’avantage du jeu vidéo, c’est que derrière chaque communauté, il y a souvent un (ou plusieurs) Community Manager. Avec une équipe consacrée aux relations publiques, chaque éditeur peut décider ce qui aura lieu ou non dans son jeu. Il peut mettre en place des outils de rapports qui permettent d’assainir le groupe et d’augmenter la qualité de jeu dans son ensemble. Souvent c’est efficace, parfois moins (Xbox Live a été montré du doigt pendant longtemps et les mesures prises ont mis beaucoup trop de temps à faire effet).

L’autre problème autour de la pensée de groupe est qu’un membre peut très bien être accepté car il remplit les conditions (souvent tacites) et devenir complice. Soit il assiste à des comportements douteux et se tait. Soit, pour asseoir sa place dans le groupe, il y participe et laisse de côté son propre jugement. On voit notamment dans certaines communautés que la pire insulte est de traiter quelqu’un d’homosexuel. Cela devient alors automatique dès le premier désaccord. On s’éloigne de l’homophobie et on suit la pensée du groupe qui a décidé de s’attaquer à une minorité.

Les premières communautés de joueurs s’amusaient des femmes joueuses et se contentaient de leurs clubs 100% masculins. Mais la minorité devient parité et cet afflux de joueuses ébranle le bastion de “virilité” qu’une minorité s’était construit. Ce noyau dur de machistes qui pensent qu’elles vont renverser l’ordre mondial et attaquer leurs libertés.

On les entend déjà parler nostalgiquement de l’époque où il y avait très peu de joueuses et où c’était tellement mieux. Mais ça n’arrivera sûrement pas. De la même manière que personne n’a regretté la période où les femmes n’avaient pas le droit de vote. Ils constateront qu’à leur niveau rien n’a changé à part la liberté qu’ils s’octroyaient d’offenser autrui.

 

La réforme

Pour réformer la pensée de groupe et la crainte de certains que les jeux vidéo ne soient plus comme avant, il suffit de prendre des exemples du passé dans le domaine des jeux vidéo ou non. Tout le monde s’amuse des films Hollywoodiens quand on constate que si des personnages meurent avant la fin, il s’agit en général d’acteurs de couleur plus que de caucasiens. Les mentalités évoluent et tout le monde comprend que le héros du film n’a pas besoin d’être blanc. Pourtant, l’industrie reste figée sur ses vieux principes.

Le retour de la communauté étant primordial pour les jeux vidéo tant le média est jeune et le public changeant, on peut espérer que les évolutions s’opéreront plus rapidement. On a pu ainsi voir dans Half-Life 2 (2004) que Alyx Vance était une compagne de route cruciale, tout à fait capable et portant des vêtements normaux. Dommage qu’elle n’est pas été l’héroïne du premier volet. Même si Gordon Freeman était déjà très en décalage avec le stéréotype du héros de FPS.

Lol-Babes

Tenues de combat confortables et de circonstance !

League of Legends, par contre, s’entête à dépeindre la femme comme une séductrice à forte poitrine et pratiquement nue. Étant l’un des jeux les plus joués au monde avec une communauté à 90% masculine, Riot a autre chose à faire que de séduire le public féminin. Pourtant, reconnaître qu’il y a un problème, c’est déjà le résoudre un peu. Mais les politiques marketing et de relations publiques préfèrent taire les problèmes. Ainsi les femmes sont exclues de LoL sauf si elles peuvent se trouver au préalable une équipe qui leur offrira un environnement de jeu sain. C’est une solution évoquée par beaucoup de joueuses mais il s’agit d’une sérieuse barrière d’entrée pour la plupart des jeux en ligne.

Certaines trouvent une parade en créant des équipes 100% féminines. Alors les critiques vont bon train et les blagues/insultes fusent (voir le cas Siren). Loin du discours activiste, la première motivation est encore une fois, tout simplement, de pouvoir jouer dans de bonnes conditions. Pas de provocation ni de misandrie, juste l’envie de jouer. Être jugé sur son niveau et non pas sur son genre.

 

Conclusion, actions

Greenpeace avait sorti un guide des grandes entreprises pollueuses dans le domaine de l’électronique et je pense qu’il serait utile d’avoir la même chose pour les éditeurs de jeux vidéo. Comme si les FEMEN avaient une branche dédiée aux jeux.

Mais au delà du combat féministe il doit s’agir d’une prise de conscience sur la représentation de la femme dans notre média favori. Anita Sarkeesian a su ouvrir les yeux et pointer du doigt les stéréotypes qui doivent cesser de sévir pour une évolution saine, nécessaire et qui profitera à tout le monde. Et les torrents de haine misogyne qu’elle a subit montrent que le problème n’est pas anodin.

Après de nombreuses critiques de rédacteurs ou d’acteurs du monde du jeux vidéo, certaines conventions ont commencé à bannir les Booth Babes. On avance, mais il faudra encore de la patience et beaucoup d’encre pour que ce combat prenne sa place dans les livres d’histoire.

 



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