Batman, de la lumière à l’ombre
Difficile de faire une grande chronique regroupant tout ce qui est arrivé à Batman depuis sa création en 1939. 75 ans, c'est très long. Et comme son éditeur DC comics a déjà connu deux reboots, puis quelques réajustements et retcons, impossible de pouvoir juger de la pertinence de certains éléments. Par exemple Robin : doit-on parler de Jason Todd, Tim Drake, Stéphanie Brown et Damian Wayne (et je ne parle même pas des porteurs du masque hors continuité) ? Cela dépend des époques. Certains se demandent peut-être pourquoi je ne cite pas Dick Grayson, le premier à porter ce costume dès 1940 ? Évidemment parce que celui-là on ne peut pas passer à côté. Robin/Dick Grayson, qui s'était rapidement imposé comme l'élément qui apportait du plus léger aux histoires, le "bon flic" du duo. Mais dix ans après sa création, il allait être éclipsé par un autre personnage encore plus lumineux : Superman. En effet, à cette période, l'industrie des comics était au bord du gouffre suite à la croisade du docteur Fredric Wertham (qui accusait les super-héros de corrompre la jeunesse, avec des arguments stupides et souvent erronés mais que l'on peut toujours entendre aujourd'hui). DC comics n'avait plus qu'un seul titre qu'il arrivait encore à vendre dans ce registre, mais il lui fallait réunir ses deux têtes d'affiches dedans. Le kryptonien solaire réussira à se faire une santé en s'associant à une campagne du gouvernement des Etats-Unis, et l'industrie sera relancée avec les débuts de l'Âge d'argent et l'explosion de Marvel comics. Mais Batman restera un personnage marginal, mal aimé par les autres médias. Finalement, un projet de série est monté dans les années 60. Difficile à placer à la télé, les supers-héros ayant été un support très populaire en sérial (des courts-métrages diffusés dans les cinémas avant le film principal), format que de nombreux décideurs cherchent à faire oublier. Finalement, Batman ne sera autorisé à être présenté que dans la catégorie humoristique. Générique, attention pour ceux qui ne connaissent pas, ça va faire un gros choc :
A l'époque, le pop-art explosait sur la scène artistique. Andy Warhol avait réalisé quelques œuvres sur les super-héros. C'est donc naturellement dans cette direction que se dirigea l’esthétisme de la série. Batman avait déjà perdu une partie de son côté obscur en étant le partenaire de la gravure de magazines Superman, ici il voit disparaitre le reste. La BD suit, avec en exemple le Rainbow Batman (image du dessous). Cette série est aujourd'hui honnie par la plupart des fans modernes, et ceux qui y ont participé sur la liste des "à éliminer". Le joueur du grenier a, par exemple, bien démonté le film tiré de cette série dans une de ses vidéos. Personnellement, j'ai encore une certaine nostalgie à son sujet, entre autres parce que je lui concède qu'elle a fait avec les moyens du bord. Vu les circonstances, était-il possible de faire mieux ? En tout cas, elle a eu un grand succès. Ce qui a entrainé des malheurs sur certains points comme le Joker. Ce tueur en série au visage de l'Homme qui rit de Victor Hugo, lissé en clown fou pour le rendre moins effrayant, s'est retrouvé ici joué par un acteur comique qui ne prenait pas le rôle au sérieux : il refusa de se raser la moustache, faisait modifier les scripts quand il n'assumait pas un scénario et ne se rendait pas très présent pour tourner les épisodes. Il a fallu répartir son ancienne influence sur deux autres méchants, le Pingouin et l'Homme-Mystère. Bonne nouvelle, cela a fait monter les deux dans la hiérarchie. Ils n'en sont toujours pas redescendus. Tout comme Catwoman, qui était sur le point de disparaitre dans la BD et sera quasiment ressuscitée en principal antagoniste féminin. Il y a donc bien eu de bonnes choses qui sont sorties de là. Et on n'a pas fini de supporter cette influence, Hollywood a toujours les yeux rivés dessus. Comme avec Nicolas Cage qui a reconnu faire un hommage à Adam West dans un de ses derniers films de super-héros.
Dans les années 80, une nouvelle génération d'auteurs a profité du reboot qui a suivi Crisis of Infinite Earth (l'univers DC était devenu si gigantesque que même les encyclopédistes ne s'y retrouvaient plus) pour effacer le carnage des dernières années. Profitant de sortir d'une crise (il y en a une décennie sur deux alors...), ils lui ont rendu son côté sombre. En tête de liste, on cite souvent Frank Miller (300, Sin City...) car il a écrit la plus célèbre histoire de Batman de cette époque (The Dark Knight Returns, où un Batman de 60 ans prouve qu'il est encore assez bad ass pour mettre une fessée à Superman) mais aussi le cycle Year One où, sous couvert de raconter la première année de l'homme chauve-souris, il redéfinit toute la galerie des personnages et la mythologie de Gotham City pour les 25 prochaines années (vu la fièvre "réinterprétation des origines" du moment, on ne peut pas savoir de quoi le futur proche sera fait). Il ramène au centre des histoires deux points qui étaient déjà là dans les premières bds mais perdues en cours de route : Batman est le vigilant qui sort de l'ombre et surtout c'est un détective. Deux axes sur lesquels ses successeurs continueront. Le Joker sera aussi ramené en tête des ennemis, celui qui arrive à le toucher jusque dans son entourage. Il est allé jusqu'à tuer le second Robin Jason Todd et estropier Batgirl Barbara Gordon. Quand Batman sera réalisé en film par Tim Burton, à la fin de la décennie, les deux cycles qui l'ont le plus inspiré sont Year One et The Killing Joke d'Allan Moore (Watchmen, V pour Vendetta, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires...) qui raconte les origines du Joker. Moment choquant de cette dernière histoire, on y voit Batman rire à une blague. Si si ! Je vous mettrais bien la bande-annonce du film mais elle est si différemment calibrée que celles dont on nous abreuve régulièrement au cinéma que ce ne serait pas rendre hommage à cette réussite.
Malheureusement, le succès de Burton augmentant, il mettra plus de lui dans la suite de ce film. Il prendra des distances avec la bd, remaniant les méchants pour les rapprocher de ces "monstres victimes" qu'il affectionne tant. Batman n'est plus dans Le défi qu'un personnage quasi-secondaire. Les amateurs de cinéma applaudissent le réalisateur qui rajoute un succès à son univers, les spectateurs sont plus sceptiques et ce second film se vend moins bien. Les studios s'inquiètent du ton trop sombre qui pourrait perdre des enfants. Or Warner Studios sont les propriétaires de DC comics, et donc disposent de la licence comme ils veulent. Burton est prié de ne pas réaliser le prochain film et de passer la main à Joel Schumacher. Comment dire pour la suite... Et bien, le principe de la série des années 60 marié au style des années 90 fait mal aux yeux. Un mauvais cocktail qui vaut au quatrième de la saga, d'être surnommé "le film qui n'existe pas". Même les studios et le réalisateur l'ont renié. C'est dire. Plus de vitrine alors ? Mais dans le même temps, un dessin-animé va sortir en 1992, année du Défi, avec pour scénariste principal Paul Dini (qui a aussi scénarisé les deux premiers jeux de la licence Batman Arkham). Et va prouver qu'il est possible de raconter des histoires de Batman pour les enfants, de qualité, et sans rien enlever à son côté sombre. Des personnages secondaires rajoutés pour meubler passeront même dans les pages de la bd : l'officier de police Renée Montoya (qui sera utilisée par DC dans des histoires tout sauf enfantines) et surtout la moitié du Joker Harley Quinn (dont la popularité ne cesse d'augmenter des années après la fin de la série). Ce dessin animé sera une base sur laquelle sera construite la division animation de DC comics, avec Superman, JLA, Teen Titans et autres Young Justice. Et pour les plus adultes, les plus anciens, cette section réalise aussi des adaptations de cycles bds côtés, les rendant même parfois plus accessibles. Batman a donc très bien rempli ce rôle de locomotive pour s'ouvrir vers de nouveaux publics tels que le souhaitaient les propriétaires de sa licence dès les années 60.
Il est évidemment impossible d'évoquer des adaptations de Batman sans parler de la dernière trilogie de Christopher Nolan. Néanmoins, elle est encore très fraiche et il est difficile de voir ses conséquences. Le Joker a vu sa vie réorganisée pour mieux coller à l'interprétation d'Heath Ledger. Mais Ra's al Ghul, Talia et Bane n'ont pas encore été réutilisés en dehors d'histoires ayant déjà commencé avant. Mais c'est aussi un cas d'école pour traiter des adaptations à Hollywood. On le voit clairement dans Dark Knight Rises (et dans Man of Steel, qu'ils ont aussi écrit), Nolan et son collaborateur David S. Goyer, capable du meilleur (Dark City, Blade 1 et 2, cette trilogie Batman...) comme du pire (The Crow 2, Blade 3, Jumper, Ghost Rider 2...), n'ont à aucun moment fait des films réalistes comme ils le prétendent. Le plus réaliste des Batman a été tourné par Tim Burton (le premier), aussi paradoxal cela soit-il. Le simple costume de Catwoman, tiré de la série des années 60, le démontre bien. En tant que fan du justicier de Gotham, Selina Kyle peut parfaitement porter tout ce qu'elle veut en hommage. Et Nolan lui-même justifiait tout costume potentiel dans la scène de fin de Begins. Ils ont juste voulu faire différemment, et réarrangé les éléments à leur sauce sans se soucier de la pertinence par rapport au matériel de base. Le résultat est de qualité, surtout en voyant d'où on partait. Je considère The Dark Knight comme le meilleur film Batman jamais réalisé. Mais du point de vue adaptation (et tout projet de ce genre est toujours vendu comme une adaptation) on est très loin du premier de Burton ou de la série de Paul Dini. Reste à voir si cela débouchera sur un élément aussi fondateur que Year One de Frank Miller ou si un auteur prendra le contre-pied et s'en moquera comme de la série des années 60...