Outward – On ne peut pas plaire à tout le monde
Parfois, la vie s'acharne. Entre l'abondance de réponses négatives aux candidatures pour retrouver un boulot après des années cloué au lit, un coeur complètement désintégré par des déceptions sentimentales cataclysmiques, une solitude aux frontières du désespoir, un drame familial qui ne trouve pas de résolution personnelle, une télé qui tombe en panne sans possibilité de la remplacer, j'en passe et bien d'autres, on peut dire que c'est de la bonne dépression qui s'est installée ces derniers mois.
Alors le jeu vidéo devient le seul moyen de s'évader, de s'amuser en espérant voir venir le prochain événement pour profiter de ses amis, seul moteur de joie, sous réserve d'avoir quelques euros pour partager ce moment et ce verre.
Alors quand on me dit: "Messire Stéphan, une importante et urgentissime missive vient de me parvenir et me presse de me rendre immédiatement au royaume de l'Orange Blonde pour vérifier si le climat est bien plus clément que dans notre pays ainsi que l'effet qu'il peut avoir sur la peau. Mais je ne peux pas m'occuper personnellement de l'affaire de tester Outward. Peux-tu être mon prince charmant et me remplacer sur ce test ?"* et bien Stéphan, en tant que preux chevalier, répond :"N'ayez crainte, jeune demoiselle en détresse. Stéphan est là pour vous sortir de ce mauvais pas ! Partez sans crainte, my lady, je m'occupe de tout !" *
Mais Stéphan ne savait pas à quel point cette tâche allait mal tourner, se révéler cauchemardesque et l'ensevelir encore plus dans sa dépression, loin de l'amusement qu'il cherchait désespérément.
*Version romantisée pour les besoins de cet article.
Outward est un jeu. Jusque là ça va, je gère. Un jeu de survie, même ! Houlà, z'avez vu à quel point je maîtrise jusqu'ici ?
Oui, un jeu de survie. Pas un jeu de rôle, contrairement à ce que je pensais, malgré son habillage fort ressemblant, en acceptant la lourde tâche de retranscrire ce jeu à vos yeux globuleux.
D'ailleurs vos yeux désormais un peu plus globuleux, impressionnés par la maîtrise avec laquelle j'ai présenté le jeu, auront le loisir de voir des paysages plutôt jolis, pour un jeu visuellement relativement abouti, malgré une piste sonore mal mixée. Vous verrez du paysage dans ce semi open world, puisque le terrain de jeu divisé en gigantesque zones proposera des reliefs divers et variés, réalisés de manière plus qu'honnête.
Le joueur incarne un personnage sur lequel incombe la lourde tâche de... Ben de rien en fait. Vous êtes un type comme les autres, si ce n'est que votre famille a été marquée par votre village comme étant paria et devant payer une dette éternelle parce qu'un de vos ancêtres a fait un truc pas bien genre peter dans le cornet à piston de son oncle. De toutes façons, ce n'est pas bien important parce que rapidement vous allez avoir 3 choix: rester dans le village qui ne vous aime pas et payer votre dette, partir rejoindre un pays libre ou rejoindre un groupe de chevaliers. Mon choix, avec ses conséquences, s'est porté sur le pays libre dans le désert, donc le background Caliméro du personnage sans aucune personnalité, disons poliment que je me suis assis dessus espérant être happé dans une histoire épique. Et c'est bien là le problème principal du jeu : aucune empathie ni pour un protagoniste sans charisme, ni pour une quête passionnante ou originale. On pourrait rester ad vitam aeternam dans le village initial à pêcher, dormir, boire sans aucun but, que les choses ne changeraient pas vraiment. Alors qu'un but vital, générateur d'envie de prolonger l'aventure est important dans ce genre de jeu, dans Outward on est complètement détaché d'un quelconque mobile. Surtout lorsque vous devez traverser de vastes lieux dangereux et pas seulement à cause des ennemis qui vous tueront en trois coups maximum - un, si vous êtes chanceux- ça aurait été bien d'avoir eu une réelle motivation derrière pour affronter ces dangers avec entrain, comme un monde à sauver, une princesse à libérer ou une pizza à livrer en 30 minutes pour ne pas avoir à l'offrir.
Vous vous rappelez que j'ai parlé de choses dangereuses autres que les ennemis ? Mais oui, souvenez-vous, c'était il y a une phrase de cela !
Et bien figurez-vous que les développeurs ont eu la chouette idée de rajouter divers critères pour transformer une non quête pas passionnante en calvaire total. Entre la soif, la faim, le froid, la chaleur, les maladies, le poids de votre inventaire, et j'en passe, tout est fait pour vous mettre des bâtons dans les roues sur chaque aspect. Je veux bien que ce soit un jeu de survie et que ces critères soient très intéressants et réalistes à impliquer dans le gameplay, mais le jeu est beaucoup trop excessif et handicapera déjà votre personnage dès lors que votre niveau de faim ou de soif sera sous les 80%, par exemple (plus le chiffre est élevé pour ces 2 critères, moins vous avez besoin de boire ou de vous nourrir).
Et les handicaps se font ressentir et s'accumulent en vous limitant l'utilisation d'endurance, de vie, de maximum des jauges, de régénération d'endurance, en baisse de résistance aux dégâts, etc. On ne peut même pas mettre pause en solo pour aller se soulager !
Et bien évidemment, ne vous attendez pas à ce que vous vous en sortiez sans heurts, car tout est onéreux vis à vis des rares gains de vos ventes et des quêtes. De toute façon, même avec des armures correctes, achetées ou craftées, vous allez prendre d'énormes dégâts dès le commencement.
Bref, vous allez en baver.
Mais c'est une fois que vous commencez à prendre le coup, apprenez à prendre vos distances avec les ennemis pour évoluer dans les vastes paysages, à préparer des pièges dans lesquels attirer vos ennemis, que le jeu passe à la vitesse supérieure et vous force à affronter des groupes, à vous faire faire des allers-retours sur les zones de jeu qui peuvent s'enneiger, où le soleil peut taper fort ou dont les pluies peuvent vous enrhumer, tout en devant vous diriger à l'ancienne avec pour unique outil une carte figée complètement austère qui ne montre même pas votre position, ainsi qu'une boussole qui n'indique que les points cardinaux.
Le jeu ne fait aucun cadeau et accumule le plaisir pour masochistes à tendances sociopathico-suicidaires. Et on peut même partager ces séances BDSM avec un autre pour peu qu'on trouve un autre joueur online ou qu'on a un ami à portée de main et dont on veut se séparer pour une partie en écran splitté.
On erre alors espérant glaner suffisamment de pièces pour apprendre des compétences et augmenter quelques caractéristiques (rappelez-vous, ce n'est pas un RPG, donc pas de niveaux, ni de points à répartir), acheter des rations pour changer de zones et rejoindre notre destination, acheter de l'équipement, des recettes, des schémas, des sorts. Mais l'amusement ne vient pas en ce qui me concerne. L'agacement et la frustration prennent le pas et l'envie de ne plus jamais y jouer vient rapidement en tête, devenant un désir fou, un fantasme avoué au monde, une ode au fun recherché, un orgasme de plaisir et de non prise de tête voulu.
Outward trouvera probablement son public, car il a de solides qualités techniques et conceptuelles qui enchanteront les adeptes de la scarification. Mais vu les réglages appliqués à l'excès, je ne suis clairement pas la cible d'Outward. Moi je préfère m'amuser sans me faire humilier au moindre centimètre carré de sentier.